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L’univers musical gabonais regorge d’une multitude de talents mais force est de constater que les artistes gabonais peinent à se faire connaître véritablement autant sur la scène nationale qu’à l’international. Nous avons donc cherché à comprendre ce phénomène en interrogeant plusieurs acteurs de la musique gabonaise afin qu’ils nous aident à mieux l’appréhender.

Pour démarrer notre réflexion, nous avons discuté avec O’nomé. Actif dans le milieu du rap gabonais il y a quelques années, du côté de Port-Gentil notamment, celui-ci nous donne son avis sur la question. “Ce qui bloque pour moi, c’est déjà l’absence des droits d’auteurs. Et aussi, le manque de maisons de production capables de vendre la musique gabonaise à l’international. Aussi, le refus de s’arrimer aux normes internationales pour certains artistes. Les produits musicaux qui ne sont toujours pas de bonne qualité, des ingénieurs son sans véritables formations.

Par ailleurs, nous avons interrogé un rappeur gabonais, Laruz Ben, qui a bien voulu se prêter à l’exercice. Selon lui, ce qui bloque la musique gabonaise, c’est “Le manque de structure (salle de concert, de spectacle), la carence d’événement pour que les artistes se produisent. Les droits d’auteurs et surtout, dissocier la musique de la politique. Ils sont rares les artistes qui réussissent par eux-mêmes . Pour y arriver, il faudrait avoir deux activités. Par exemple, faire une autre activité différente de la musique afin de s’autofinancer. Ce qui ne s’avère pas facile. Certains artistes qui y arrivent ne perdurent pas dans le game. Car pour passer en télé, en radio, sur des playlists et même sur les plateformes digitales, tout est payant. Au bout d’un moment, l’artiste est essoufflé entre promo musicales, paiement de loyer et autres charges personnelles. Il est alors difficile de maintenir le cap.

Avec sa guitare, Aymé est désormais un visage bien connu dans le paysage musical gabonais. Il s’est lui aussi prêté au jeu. “Écoute, succintement comme ça, je peux te dire qu’il y a d’abord la structuration de l’art au Gabon. L’art n’est pas structuré dans le sens où la musique gabonaise n’existe pas administrativement. Il n’y a pas de textes qui donnent à l’artiste un statut particulier. La preuve, un monsieur comme “papa” Pierre Akendengue, Pierre Claver Zeng ou Annie Flore qui sont des monuments. Pour ne citer que Pierre Akendengue, il est pratiquement l’équivalent d’un musée du Gabon mais le ministère ne fait rien pour l’honorer. Pareil pour Prince Martin Rompavet. Mais donc, un moment donné, ce qui bloque déjà, c’est ça. Au niveau du ministère même de la culture, on ne nous connaît pas en tant que tel. On nous entend juste faire du bruit de part et d’autre mais administrativement, on ne nous connaît pas. Ensuite, on pourrait dire qu’il n’y a pas de canaux promotionnels dans la musique gabonaise. Il n’y a pas de structures pour spécifiquement promouvoir la musique gabonaise. À la limite, après avoir fait son morceau, c’est l’artiste lui-même qui doit aller payer les passages de ses musiques dans les radios et télévisions. Du coup, ça constitue un frein. On est obligé de faire comme on peut pour ne fût-ce qu’être reconnu. Au Gabon, on ne peut pas parler de l’industrie de la musique dans le sens où on n’a pas par exemple un quantificateur de disques pour établir un classement.

Si elle s’est faite connaître à travers la chorale les Anges ABC, Maître Ladysinger est aujourd’hui professeur de musique et a tenu à participer au débat. “Le problème est qu’on n’a pas de véritable industrie. Je m’explique. On n’a pas de véritable industrie, pas de droits d’auteur. Il n’y a rien. On n’a pas un véritable organisme qui gère les artistes. On n’a pas d’organisme qui gère les métiers de la musique parce qu’il n’y a pas que les chanteurs. Il y a les paroliers, les managers, les producteurs, les réalisateurs. Regarde comment la Côte d’Ivoire est devenue la plaque tournante de toute l’Afrique francophone. Il n’y a pas de vrai label, un peu comme Direct Prod qui produit Shan’L par exemple. Donc, pour s’internationaliser, ce n’est pas évident. Pourquoi la musique ne paye pas ? C’est parce qu’il n’y a d’organisme qui coche. Aux États-Unis par exemple, il y a des organismes qui travaillent pour quantifier les ventes. Il y a même des logiciels pour ça mais ici, il n’y a rien. Tu mets beaucoup d’argent pour produire un son, un vidéo de qualité mais aucun retour sur investissement car après ça va sur YouTube et tout le monde télécharge. Ce n’est pas possible au Gabon. Il n’y a rien qui te paye. On a tout à envier à l’industrie musicale de la Côte d’Ivoire. Leurs droits d’auteur sont bien régulés. Pareil pour la promotion. Tu as vu le niveau de leurs émissions ? Au Gabon, on n’a que Le Grand Mbandja. En fait, au Gabon, tu n’as même pas envie d’aller dans une émission tellement c’est nul. Et chez eux, ils ont bien catégoriser les gens: producteurs, DJ, artistes chanteurs, danseurs, animateurs, c’est bien régulé. À ce niveau, on a tout à leur envier. Tu vas voir une artiste comme Shan’l, la grâce que cette fille là a, c’est qu’elle est dans un bon label qui l’internationalise. A contrario, on ne l’aurait pas connu à l’extérieur du pays. Il y a des talents au Gabon. Il y a des gens qui chantent bien. Queen Koumb, elle chante très bien mais, ce n’est pas facile de s’internationaliser où il n’y a pas de game. Toi-même seul en tant qu’artiste, tu ne peux pas décider d’aller au Nigéria tout simplement comme ça et croire que ça va marcher. Il faut créer une industrie. Il faut que le ministère de la culture se penche dessus pour qu’on crée notre bureau des droits d’auteur. Les gabonais qui ont assez de moyens vont s’inscrire à la SACEM en France mais au Gabon, on n’a rien. Même les Balafons, il n’y a plus. Même les concours qui récompensaient les meilleurs artistes gabonais… Les Balafons, il n’y a eu peut-être que deux ou trois éditions seulement. Il faut d’abord créer un bureau des droits d’auteur pour que les artistes deviennent autonomes car ils ne vont pas investir dans le vent. Ils vont commencer à faire de bons produits. Puis, il y aura des organismes annexes pour réguler les choses (nombre de minutes, qualité de l’image…). C’est la seule solution. Enfin, il faut aussi que les artistes apprennent à se recycler, à se faire former. Beaucoup ont appris à chanter sur le tas. Il faut aussi qu’ils apprennent à se faire former pour donner quelque chose de propre. Pour être aux standards internationaux, ce n’est pas seulement bouger les fesses. Il faut savoir chanter comme il faut, faire des concerts live. Au Gabon, tout le monde fait du playback et c’est dommage.

Ainsi, les professionnels de la musique gabonaise gagneraient à se former et/ou à se mettre à jour pour exister au niveau international. Mais, il serait vraiment judicieux que le ministère de la culture valorise le travail de tous ces artistes qui se battent tant bien que mal pour produire des morceaux de qualité en mettant justement en place un bureau des droits d’auteur digne de ce nom. Cela tombe bien, celui qui est actuellement en charge de ce ministère est lui-même un acteur de la musique gabonaise. Il s’agit de M. Max Samuel Oboumadjago alias “Massassi” du groupe Hayo’e. Espérons qu’il fasse faire avancer les choses un tant soit peu.